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la loi de 2014 en chantier

A l’issue de cette évaluation, le Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire (RTES) "présentera des propositions d'évolution de la loi de 2014", selon Mahel Coppey, présidente du RTES. Le réseau recueille donc les attentes spécifiques des collectivités sur le sujet et les porte dans le cadre du groupe de travail sur l'évaluation de la loi ESS du Conseil supérieur de l'ESS (CSESS). Piloté par Frédéric Tiberghien, président de l’association Fair, ce groupe de travail est en train de finaliser ses propositions, qui seront discutées en séance plénière du CSESS ce 24 mai. Retour sur une partie de ces travaux, tels qu’ils ont été évoqués le 5 avril dernier lors du webinaire du RTES.

  • Article 1 : la définition et le périmètre de l’ESS

Au sein du Conseil supérieur de l’ESS, "la tonalité qui prédomine c’est qu’il vaut mieux ne pas y toucher parce que c’est le résultat de négociations très complexes qui ont eu lieu en 2014", explique Frédéric Tiberghien. Autre argument avancé pour ne rien modifier : "cet article a été repris dans beaucoup de textes internationaux par l’Organisation des Nations unies (ONU), par l’Organisation internationale du travail (OIT), par l’Union européenne, pour définir l’économie sociale". L’ONU a ainsi adopté le 18 avril 2023 une résolution sur "La promotion de l’économie sociale et solidaire au service du développement durable" : une victoire internationale pour l’ESS, pour laquelle la France revendique un rôle de premier plan.

Seul le Mouvement impact France (MIF) soulève la question d’un élargissement du périmètre de l’ESS pour y intégrer "des entreprises dites à impact, au-delà de celles qui bénéficient de l’agrément Esus [Entreprise solidaire d’utilité sociale]" (voir notre article), précise Frédéric Tiberghien.

D’autres voix, comme celles de Christophe Itier, ancien Haut-commissaire à l’ESS et à l’innovation sociale, et Jonathan Jérémiasz, porte-parole du nouveau Collectif des entrepreneurs sociaux (voir notre article), s’élèvent pour demander une clarification du positionnement de l’ESS, non pas par une modification de l’article 1 de la loi mais par la création d’un label. Dans une tribune publiée le 26 avril 2023 dans La Croix, Christophe Itier pointe ainsi un "défaut de cohérence", de "lisibilité" et donc de "notoriété" de l’ESS, qui regroupe des entreprises très différentes sur le plan de l’impact social et environnemental. Un label permettrait selon lui de fixer "des règles de contrôle de l’impact social et environnemental, de limitation des rémunérations et de participation des salariés à la gouvernance". Et ainsi de valoriser les plus vertueux, au regard notamment "d’autres formes d’engagement telles que les sociétés à mission (qui n’intègrent ni le partage de la valeur, ni la gouvernance dans leurs critères) ou encore la RSE".

  • Article 2 : la définition de l’utilité sociale

Cet article 2 intéresse les collectivités, et en particulier les départements dont le fondement légal à intervenir dans le champ de l’ESS est contesté depuis la loi Notre de 2015. Le RTES propose ainsi que cet article définissant l’utilité sociale devienne "la référence pour fonder la compétence des collectivités territoriales en matière d’accompagnement de l’ESS et de maintien ou de recréation des solidarités territoriales", rapporte Frédéric Tiberghien.

"Cette reconnaissance des départements et des EPCI est capitale", pour Isabelle Hardy, vice-présidente du conseil départemental de la Haute-Garonne, car sinon ces collectivités "interviennent de façon volontariste [tout en étant] toujours dans la ligne de mire du préfet".

Autre remontée sur cet article, la nécessité d’une mise en cohérence, puisque deux définitions différentes de l’utilité sociale figurent dans la loi : celle de l’article 2 – servant de référence à la fois pour le périmètre de l’ESS et pour l’agrément Esus – et celle qui a trait aux sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic).  

  • Article 6 : les chambres régionales de l’ESS (Cress)

Dans la lignée du rapport récent d’ESS France (voir notre article), le Conseil supérieur de l’ESS plaide pour un renforcement du rôle des Cress, notamment sur le soutien à des entreprises en difficulté, l’accès au foncier, l’aide à l’innovation et l’ingénierie de coopération territoriale. Pour cela, les acteurs demandent un renforcement des effectifs des Cress et un soutien financier plus affirmé de l’État.

  • Articles 7 et 8 sur la stratégie régionale et la conférence régionale de l’ESS

Sur les stratégies régionales de l’ESS, les acteurs font part de leur déception, face notamment au manque de données sur ces stratégies et sur leur bonne mise en œuvre. En métropole, seules deux régions sur 13 avaient formulé en 2017 une stratégie ESS en tant que telle ; il s'agit des Pays de la Loire et de la Bretagne, la Bretagne étant la seule région à disposer encore aujourd'hui d'une "stratégie formalisée de l’ESS", selon le RTES. Comme prévu par la loi Notre, les autres régions font le choix d'intégrer leur volet ESS au schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII), notamment sous la forme d'une feuille de route en annexe. "Nous regrettons que la stratégie régionale soit réduite progressivement à un catalogue d’actions qui sont incluses dans le SRDEII", met en avant Frédéric Tiberghien. Pour Anne-Laure Federici, déléguée générale du RTES, l'adoption d'une stratégie régionale distincte du volet ESS du SRDEII "peut présenter l'avantage  de couvrir un périmètre plus large que le développement économique" et de couvrir "par exemple l’aménagement du territoire, l’innovation sociale, l’enseignement et la recherche dans l’ESS, la culture et la citoyenneté, la place de la vie associative, la santé publique, le sport et les loisirs".

Frédéric Tiberghien ajoute que "la place des départements mériterait d’être mieux reconnue dans toute la concertation préalable", à la fois aux travaux de la conférence territoriale de l’action publique (CTAP) sur le SRDEII et à la conférence régionale de l’ESS. Si cette dernière est perçue comme "un moment fédérateur pour les acteurs", elle mériterait davantage de "co-construction" en amont et de "suivi des décisions" en aval, rend compte le rapporteur du groupe de travail du CSESS. Le travail effectué en conférence régionale de l’ESS doit ensuite "se traduire dans le SRDEII", ajoute Sandra Guilmin, chargée de mission ESS à la ville et métropole de Strasbourg.  

Le Conseil supérieur de l’ESS devrait porter également sur cet article "la nécessité de clarifier le rôle des départements et des EPCI en matière de soutien à l’ESS, suite à la loi Notre", poursuit Frédéric Tiberghien.

  • Article 9 sur les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE)

Parallèlement aux PTCE, d’autres démarches de coopération territoriale se sont développées ces dernières années telles que les fabriques de la transition, Territoires zéro chômeur de longue durée (voir notre article), les projets alimentaires territoriaux (PAT), les territoires à énergie positive (Tepos)… Et le Conseil supérieur de l’ESS suggère de "donner une visibilité d’ensemble à tous ces dispositifs" et de mieux mesurer leur impact.

Se pose aussi la question du soutien financier de ces démarches dans la durée. "Nous, les territoires, souhaitons toujours plus de coopérations territoriales sous diverses formes et qui ne sont pas aujourd’hui soutenues au juste niveau de ce qu’elles peuvent produire en impact positif sur nos territoires", met en avant Mahel Coppey.

  • Article 11 sur l’agrément Esus

"Très longuement discuté" par les membres du groupe de travail, l’article 11 sur l’agrément Esus pose plusieurs questions, à commencer par celle de l’instruction jugée très différente d’un territoire à l’autre. Il y aurait ainsi des "divergences d’appréciation selon les territoires" de l’utilité sociale, précise Frédéric Tiberghien. La proposition du Conseil supérieur de l’ESS serait ainsi de reconcentrer l’instruction pour homogénéiser le traitement et de reconnaître dans le processus le rôle d’appui d’acteurs tels que les Cress ou encore France active.

Il n’y a pas de consensus sur une éventuelle extension des avantages associés à Esus, le secteur associatif notamment considérant que le mécénat doit être réservé aux organismes non-lucratifs alors que les entreprises Esus sont assimilées à des "entreprises à lucrativité limitée". Le Conseil supérieur de l’ESS ne devrait pas non plus demander de contrôle extérieur, pour cet agrément administratif délivré pour cinq ans. Sur les critères de rémunération, certaines voix telles que le MIF souhaitent un élargissement de la fourchette actuellement de 1 à 10 pour les dirigeants. "La plupart des autres acteurs disent non : dans l’ESS le partage de la valeur fait partie des critères d’ancrage importants", affirme Frédéric Tiberghien.     

Sur l’agrément Esus, le chantier de "modernisation" conduit par la DG Trésor de Bercy a été présenté le 30 mars 2023, lors d’un autre webinaire du RTES (voir notre encadré ci-dessous).
 

  • Article 13 sur la commande publique

Les acteurs de l’ESS soulignent les progrès du cadre actuel en faveur de la commande publique responsable mais observent "une diffusion assez lente" des schémas de promotion des achats socialement et écologiquement responsables (Spaser). Le RTES estime en effet qu’un tel schéma a été adopté par 25% des 160 collectivités initialement soumises à cette obligation, alors que l’abaissement, depuis le 1er janvier 2023, du seuil à 50 millions d’euros d’achats publics, entraîne un doublement du nombre de collectivités concernées.   

  • Article 15 sur l’innovation sociale

Frédéric Tiberghien rappelle que le gouvernement n’a jamais donné suite aux travaux du CSESS sur le sujet. En complément des propositions déjà formulées, le CSESS devrait recommander de compléter la définition de l’innovation sociale pour évoquer l’implication d’un grand nombre d’acteurs dont les collectivités et pour signifier ainsi que "l’innovation sociale résulte beaucoup plus souvent d’une co-construction entre plusieurs de ces acteurs que d’une initiative purement entrepreneuriale".

  • Article 16 sur les monnaies locales

Plusieurs propositions sont à l’étude pour "faciliter l’usage des monnaies locales complémentaires par les collectivités territoriales", tant via le passage à la monnaie électronique que par de l’information et de la formation pour impliquer davantage les élus et d’autres acteurs. "Les monnaies locales restent aujourd’hui confidentielles et très peu utilisées" alors que leur "potentiel [est] important pour relocaliser les fournisseurs et l’emploi local, la culture locale, le bio, etc.", explique Frédéric Tiberghien.

Mahel Coppey rappelle que le RTES et le Mouvement Sol ont formulé des propositions fin 2022 à ce sujet, appelant à "[laisser] les collectivités innover avec les monnaies locales"

  • Article 33 sur les sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic)

De nombreuses propositions sont sur la table concernant les Scic, notamment pour leur permettre de bénéficier du mécénat, d’investissements en titres participatifs ou d’accueillir des volontaires en service civique, en particulier si "elles placent intégralement leurs résultats en réserves" (soit une sorte de garantie de non-lucrativité), précise Frédéric Tiberghien.

Ce dernier relève par ailleurs que les acteurs attendent toujours la parution d’un décret d’application de loi 3DS qui doit ouvrir la possibilité pour les collectivités de subventionner les Scic.

  • Article 59 sur la subvention

"Cette définition légale de la subvention était importante mais elle n’a pas permis d’enrayer le déclin relatif de la subvention", estime le rapporteur du groupe de travail.  

En outre, suite notamment à la loi El Haïry du 1er juillet 2021, les associations sont autorisées à conserver une partie de leurs excédents de subventions pour investir ou renforcer leurs fonds propres. La mise en œuvre de cette disposition serait très variable d’une collectivité à l’autre et le Conseil supérieur de l’ESS devrait demander "des critères un peu plus substantiels qu’une simple affirmation de principe pour aller plus loin".  

Comment moderniser l’agrément Esus, encore "méconnu", "parfois mal compris" et peu sollicité par les acteurs

La direction générale du Trésor de Bercy porte actuellement un chantier de "modernisation" de l’agrément Esus, qui a été présenté le 30 mars 2023 lors d’un webinaire du RTES dédié à ce sujet. Selon Thomas Boisson, chef de projet à la DG Trésor, ce chantier s’appuiera sur la mise en place d’un "guichet unique dématérialisé" qui sera d’abord expérimenté dans une région test en 2023 avant un déploiement général en 2024. L’enjeu est de fournir un appui aux services déconcentrés (les Dreets) en charge de l’instruction des demandes d’agrément, via une plateforme et par une éventuelle pré-instruction par des "tiers partenaires" tels que les Cress ou les antennes régionales de France active.

"Aujourd’hui, on note que cet agrément demeure méconnu, parfois mal compris et peu utilisé par les acteurs", souligne Pauline Raufaste, chargée d’affaires publiques chez ESS France. Elle observe en particulier "un besoin de clarification entre ESS et Esus", précisant que l’agrément n’est pas "une porte d’entrée dans l’ESS" ce qui implique pour les Dreets de vérifier qu’une société commerciale demandant l’agrément Esus relève bien du champ de l’ESS. Cette conformité est "un vrai sujet", abonde Thomas Boisson, qui indique que ce contrôle devrait être amélioré dans le cadre du chantier de modernisation. En corollaire, l’un des objectifs est d’avoir "enfin une liste nationale fiable, à jour en temps réel, des entreprises agréées Esus", ajoute-t-il.

La liste nationale officielle date en effet de décembre 2019, où un peu plus de 1.700 entreprises agréées Esus étaient recensées, dont une majorité d’entreprises "agréées de droit" - entreprises d’insertion notamment - via une procédure spécifique. 

Autre enjeu pour Pauline Raufaste : celui de l’attractivité de cet agrément, jugée faible au regard des "conditions très fortes" que les entreprises doivent remplir pour l’obtenir et en comparaison avec "des démarches de label qui sont bien moins contraignantes". Interrogées par le RTES, certaines collectivités estiment que "l’intérêt de cet agrément n’est pas clair" et que des acteurs nationaux font parfois valoir cet agrément au détriment de structures locales qui ne l’ont pas sollicité. 

"L’agrément Esus a été créé pour aider les petits", réagit Thomas Boisson, estimant qu’il importe de permettre aux petites structures de s’en saisir. Certaines collectivités témoignent d’un intérêt de la part de commerçants de proximité et préparent des ateliers d’information sur le sujet.

Concernant les avantages, l’agrément donne accès à la possibilité de bénéficier de l’épargne salariale solidaire, à un petit avantage fiscal et à la possibilité, pour les Esus "de droit", d’accueillir des volontaires en service civique. L’agrément administratif n’impliquant pas de contrôle externe, à la différence par exemple du statut d’entreprise à mission, la DG Trésor ne semble pas du tout envisager une extension de ces avantages directs.  

C’est surtout un "signal" envoyé notamment aux pouvoirs publics et aux financeurs sur le fait que le modèle de l’entreprise est "orienté autour de la résolution d’un problème social", selon Elisa Famery, du pôle de l’ESS et de l’investissement à impact (PESSII) à la DG Trésor. Selon elle, les collectivités peuvent se saisir de l’agrément comme d’un "point d’intention", en particulier dans la commande publique ou l’octroi de subventions.

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